Philippe Blanchet, professeur à l’Université Rennes 2, déclarait dans une conférence donnée à l’Université de Corse : « Rejeter un accent, c’est toucher à l’identité de l’être. » Le concepteur de la “glottophobie” démontre ainsi brillamment comment l’instauration d’une norme dans la manière de prononcer la langue française conduit à l’inégalité et à la discrimination.
La France naît en tant que nation centralisée à la suite de la Révolution française et de la disparition des provinces considérées comme archaïques et empêchant le peuple de France d’exercer la souveraineté politique et donc d’accéder à la liberté. Cependant, les Français ne prennent conscience les uns des autres qu’avec, d’une part, l’avènement de la Troisième République qui rend obligatoire l’enseignement général et public et, d’autre part, avec la Première Guerre mondiale qui mobilise des français de toutes les régions pour défendre une même patrie. Cette période allant de 1871 à 1918 est une période où prospèrent les clichés entourant les Méridionaux alliant a priori, stéréotypes et propos ouvertement racistes. Néanmoins, si ces clichés se sont atténués aujourd’hui ils n’ont pas disparu et de nombreux stéréotypes ou images péjoratives entourant le Méridional demeurent.
« Notre étourderie vient du Midi, et, si la France n’avait pas entraîné le Languedoc et la Provence dans son cercle d’activité, nous serions sérieux, actifs, protestants, parlementaires, notre fond de race est le même que celui des Îles Britanniques. » Ernest Renan
Ernest Renan, concepteur de la théorie française de la « nation », déclarait en 1871 dans La réforme intellectuelle et morale : « Notre étourderie vient du Midi, et, si la France n’avait pas entraîné le Languedoc et la Provence dans son cercle d’activité, nous serions sérieux, actifs, protestants, parlementaires, notre fond de race est le même que celui des Îles Britanniques. » Le Midi serait ainsi étourdi, moins actif, plus passionné et plus enclin à être dirigé que la moitié Nord de la France selon le concepteur de la nation « à la française ».
Jules Michelet, célébrissime historien français et instigateur du roman national, énonce dans Tableau de la France : « Dans le Midi, les gens aisés du moins sont Français, le petit peuple est tout autre chose, peut-être espagnol ou maure », ne considérant ainsi pas les Méridionaux comme de véritables Français.
Gaston Méry, l’inventeur du terme « racisme », sous-titre l’ouvrage de cette théorisation, « Le Méridional, voilà l’ennemi ». La naissance même du terme « racisme » est ainsi directement corrélée à une haine anti-méridionale, ici, le terme racisme est directement employé en faisant référence aux Méridionaux dont il dénonce les comportements et les mœurs dans son œuvre Jean Révolte publiée en 1891 allant jusqu’à définir le Méridional comme un « parasite vorace qui nous ronge et nous ruine ».
Louis-Ferdinand Céline également déclare en 1942 en pleine Seconde Guerre mondiale au moment où se décide la solution finale à la question juive, « Zone Sud, peuplée de bâtards méditerranéens, de Narbonoïdes dégénérés, de nervis, félibres gâteux, parasites arabiques que la France aurait eu tout intérêt à jeter par dessus bord. Au-dessous de la Loire rien que pourriture, fainéantise, infect métissage négrifié ».
Enfin, Victor Hugo, l’un des plus grands écrivains français, héros du peuple de France et de la République restaurée n’hésite pas à déclarer en 1837 dans Alpes et Pyrénées : « Qu’on ne s’y méprenne pas, il n’y a dans des villes comme Nîmes et Avignon ni Jacobins, ni Royalistes, ni Catholiques, ni Huguenots : il y a des massacres périodiques comme il y a des fièvres (…) Il y a tout un travail d’enseignement et de moralisation à faire sur cette malheureuse populace ».
Ainsi, les stéréotypes et les images péjoratives sur les méridionaux pullulent dans les milieux lettrés et dans les hautes sphères de la société française d’alors. Le Méridional est vu comme une personne grossière, exubérante ou trop discrète, ne sachant user de la raison ou d’un quelconque esprit critique. Le Méridional est vu comme un latin, mélange de sang ibère, italien, grec ou encore arabe s’opposant à l’image d’un français « pur » celte, descendant des francs sachant faire usage de la raison et contrôlant des émotions que le méridional exalte. On retrouve l’esprit de la querelle des Anciens et des Modernes, les Méridionaux symbolisant le passé, la glorieuse civilisation romane, disparue à la suite de la croisade contre les albigeois et les septentrionaux représentant la modernité, la pensée protestante et travailleuse du progrès en somme l’avenir.
Le personnage naïf de Tartarin de Tarascon, archétype de l’antihéros littéraire, esquisse les stéréotypes liés aux Méridionaux, perçus comme exubérants, faibles d’esprit, vantards ou encore lâches et fébriles.
Le contexte politique mais aussi la pensée de l’époque peut cependant expliquer ces attitudes sans pour autant justifier ni défendre ces assertions violentes à l’égard des Méridionaux. Tout d’abord, il existe une image littéraire du Méridional qui imprègne fortement les écrivains et intellectuels du XIXᵉ siècle. Le personnage naïf, créé par Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, archétype de l’anti-héros littéraire, esquisse les stéréotypes liés aux Méridionaux, perçus comme exubérants, faibles d’esprit, vantards ou encore lâches et fébriles.
Marcel Pagnol, par l’ensemble de son œuvre, contribua encore en son temps à diffuser l’image de bohème d’une Provence où l’on ne se soucie ni du temps ni du travail. La IIIᵉ République, dont on sait les pensées et les vues nationalistes vit dans le Méridional un ennemi de la nation, latin et non germain, héritier des sociétés greco-romaines décadentes et non de l’esprit protestant de travail, de sacrifice, fidèle aux valeurs familiales et nationales. Terre de Jean Jaurès, le Midi Rouge est une source d’inquiétude pour le pouvoir central parisien, terre orientée à la gauche de l’échiquier politique, on reproche aux Méridionaux leur manque de travail, d’esprit d’entreprise et de ferveur patriotique alors même que le gouvernement harangue les foules pour venger l’humiliation de 1871.
La révolte des gueux de 1907 qui secoua la Languedoc, symbole de l’infidélité méridionale
La révolte vigneronne de 1907 aussi appelée « révolte des gueux », qui secoua le Languedoc, fut un symbole pour Paris et nombre d’intellectuels de l’infidélité méridionale, la fraternisation du 17ᵉ régiment d’infanterie de ligne avec les manifestants à Béziers conduisit par ailleurs à leur affectation loin du Midi de la France, à Gafsa en Tunisie. L’indiscipline des régiments méridionaux devient alors un topos des médias jusqu’à 1918, le cas du 15ᵉ corps d’armée composé de méridionaux et accusé d’avoir lâché pied face à l’ennemi à Morhange le 24 août 1914 est ici particulièrement révélateur. L’engagement « socialiste » du Midi crée aussi un « anti-méridionalisme » clérical, l’Église reprochant aux méridionaux, descendants des Albigeois, d’être des anticléricaux forcenés, défenseurs de la laïcité, responsables d’une « décadence » de la société française. Il faut aussi souligner qu’à la suite des élections législatives de 1904 sur 229 députés méridionaux, 176 le sont dans la gauche radicale ou socialiste alors que les députés de la moitié Nord, sont majoritairement de droite.
Cet évènement contribua à forger l’idée d’un Méridional fainéant vivant à crédit des contribuables du Nord de la France, régions industrielles, travailleuses et plus avancées économiquement. Dans le journal Le Lion de Flandres, numéro 2 daté de 1929, l’industriel lillois Hector Franchomme déclare : « Le Nord abrite des travailleurs, qui n’ayant le loisir de se réchauffer voluptueusement aux chauds rayons de l’astre des jours, consacrent leur labeur à l’enrichissement du Trésor par le versement du cinquième de la contribution totale de tous les départements français. »
« Foncièrement bohèmes et nomades, ils ne travaillent pas, j’entends par là qu’ils ne produisent rien. » Gaston Méry
Des ressemblances physiques entre Juifs et Méridionaux sont également mises en exergue, Gaston Méry déclare à ce sujet : « Les Juifs et les Latins ne se ressemblent-ils pas comme des frères ? Physiquement d’abord : observez-les bien. Ils ont le même nez, le nez crochu de Polichinelle. C’est même à ce nez qu’ils se reconnaissent entre eux (…) Foncièrement bohèmes et nomades, ils ne travaillent pas, j’entends par là qu’ils ne produisent rien ». Les historiens Patrick Cabanel et Marylise Vallez expriment parfaitement bien cette idée d’un complot judéo-méridional : « Midi judaïsant, République méridionalisée, sur fond d’anticléricalisme et d’antipatriotisme : on voit bien se nouer, dans certains esprits d’extrême-droite, l’étrange et monstrueuse alliance judéo-méridionalo-républicaine. »
Le maître du nationalisme français, Méridional d’origine, Charles Maurras, pourtant un moment membre du félibrige de Frédéric Mistral n’hésite pas à théoriser la croisade judéo-maçonnique qui ronge le Midi de la France, « Les politiciens qui ne sont pas d’ici ne sont pas de là-bas, non plus, mon cher maître [Jules Lemaître] ! Ils ont la patrie de leurs négriers, Jérusalem, ou celle de leurs prêtres et docteurs, Genève, Berlin, Londres (…) Un coup d’œil sur la carte ethnographique et religieuse de la France permet de voir [que] tel département, tel arrondissement du midi n’est qu’un ghetto. Telles régions abondent en petites enclaves protestantes. […] Ces régions et les régions circonvoisines seront donc nécessairement, en toute période d’anarchie, des foyers actifs d’influence judéo-protestante, de propagande maçonnique ».
Ainsi, à partir du milieu du XIXᵉ siècle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’Union nationale autour de la reconstruction et du général De Gaulle, le Méridional est sujet à des stéréotypes émanant originellement de la perception littéraire puis rapidement liée à un contexte politique et économique, à la montée d’un antiméridionalisme clérical et antiparlementaire qui sut unifier la droite puis l’extrême droite de l’échiquier politique autour d’un ennemi commun.
« Adieu les sudistes abrutis par leur soleil cuisant, leur seul but dans la vie c’est la troisième mi-temps, accueillant… » Le rappeur Orelsan
Durant la deuxième partie du XXᵉ siècle, le développement des transports, le « métissage » entre Méridionaux et Septentrionaux, le développement d’une société multiculturelle et la focalisation du débat public sur des questions nouvelles dans un monde confronté à des défis désormais mondiaux mit fin à une haine contre le Méridional. Cependant, des a priori demeurent, le Méridional est toujours perçu comme « en retard » économiquement, souriant et naïf, trompeur et amusant, le rappeur Orelsan déclarait dans sa chanson, Suicide Social : « Adieu les sudistes abrutis par leur soleil cuisant, leur seul but dans la vie c’est la troisième mi-temps, accueillant, soit-disant, ils te baisent avec le sourire, tu peux le voir à leur façon de conduire. » Ultime témoignage d’une certaine image du méridional qui persiste encore dans les mentalités.
Texte de Samuel Touron paru dans la revue Dis-leur le 16 juin 2018
Mise en page et enrichissement photos de Loís Rousse
Est-ce que quelqu’un peut me poser une question en français et à peu près compréhensible ?
Parmi les hommes politiques du début du 21ᵉ siècle on peut citer l’exemple de Jean-Luc Mélanchon. Interrogé dans les couloirs de l’Assemblée Nationale, mercredi 17 octobre, par la journaliste Véronique Gaurel de France 3, il n’a pas pu s’empêcher d’imiter son accent du Sud-Ouest.
Alors que la reporter tente de l’interroger sur des propos qu’il avait tenu il y a quelques mois auparavant sur « les déboires judiciaires de Fillon et de Le Pen », « décadence de la République ».
Jean-Luc Mélenchon rétorque : « Et alors, qu’est-ce que ça veut dire ? » en empruntant un accent du Sud.
Puis, reprenant ses inflexions habituelles, il lancer à la cantonade, tournant le dos à la journaliste qui peinait à formuler sa question : « Vous dites n’importe quoi. Est-ce que quelqu’un peut me poser une question en français et à peu près compréhensible ? Parce que votre niveau me dépasse »
Source : France 3
À voir aussi : La Légende noire du soldat O, par André Neyton, centre dramatique occitan.
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