Gaudiose Luhahe, docteure en éthique de l’Université de Strasbourg
Ma thèse a porté sur l’impact des juridictions Gacaca, un mécanisme de justice inspiré de la tradition rwandaise.
Son intitulé est : Les enjeux des juridictions Gacaca, un défi éthique pour la reconstruction des valeurs du vivre ensemble, au Rwanda, après le génocide commis contre les Tutsi.
L’intérêt particulier pour ce sujet me vient surtout d’une expérience personnelle. D’origine rwandaise et concernée de très près par la problématique du génocide commis contre les Tutsi, j’ai eu l’opportunité d’assister aux procès des juridictions Gacaca, sans pour autant projeter d’en faire un sujet de thèse. Mon immersion dans ces assemblées eut lieu en juillet 2007, quand je me suis rendue au Rwanda pour enterrer ma mère tuée pendant le génocide. Son corps a été retrouvé grâce aux témoignages dans les Gacaca, treize ans après le génocide. Avant de m’être acquittée de ce devoir, autrement dit, avant d’avoir fait ce rite de passage, j’avais du mal à faire le deuil, à digérer cette douloureuse épreuve. Chaque fois que je me rendais au Rwanda, j’esquivais les assemblées de ces juridictions. Bien que je brûlais d’envie d’assister aux procès, j’avais une peur bleue de devoir supporter le face-à-face avec les tueurs. « Le détail de leurs récits est parfois accompagné d’une telle arrogance et d’une telle mesquinerie que tu risques d’en sortir traumatisée », me disaient mes proches. Le fait d’avoir pu enterrer les restes de ma mère dans la dignité m’a revitalisée et m’a libérée de ces appréhensions.